Ma vie ? Ben voyons, vous êtes bien curieux. A vrai dire, je n'ai pas eu beaucoup de chance, mais peut-être ceci provient-il aussi de l'essence même de mon caractère. Et pour une fois que je peux la raconter...
Je suis né assez petit. Mon père, désespéré par cette minuscule taille, a très vite décidé de ne pas s'occuper de moi ; ma mère, contre ses idées, a engagé une violente dispute avec lui, qui résonne encore dans mes oreilles. Elle l'a persuadé d'attendre, qu'avec le temps je grandirais et deviendrais aussi fort et aussi robuste que lui.
En fait, je n'étais arrivé que par accident. Je n'aurais jamais dû naître, sans oublier le fait que mon père fût extrêmement égocentrique dès que je fus né, constatation à laquelle je n'en eus jamais aucune réponse ni même hypothèse. Un pur changement brutal de la personnalité de mon père, avant ma naissance, était tout à fait impossible.
Si j'eus des frères et sœurs, jamais je n'en ai eu vent ni conscience. Au fil des années, ma mère tut les critiques agressives de mon père envers moi, et me cacha tout ce qu'il pensait de moi. Alors, persuadé qu'il était satisfait de moi, je lui souriais, avec mon air insouciant de jeune poulain, mais dès que je le hélais, il ne se retournait jamais. Avait-il honte de moi ? Si oui, pourquoi ? Peut-être parce que j'étais toujours petit et naïf ? Il devait penser, en réalité, que je n'étais qu'un nabot sans valeur, comme on dirait un de plus, un de moins, quelle différence ?
Je me confiais donc qu'à ma mère, ayant enfin compris que mon paternel ne m'aimerait jamais - et ne ferait même pas semblant de l'être.
Soudain, un beau jour d'été, elle ne rentra pas. J'attendis toute la journée, tournant, virant en tous sens. Nombre de fois j'ai croisé le regard impassible de mon père, avec cette lueur d'ironie dans ses prunelles ambrées qui foudroyaient les miennes, de la même couleur mais moins sûres d'elles.
Je dus me rendre à l'évidence : ma mère avait disparu, subitement, sans explication ni théorie possible. Je n'eus plus que mon père aux yeux de braise comme exemple, qui m'attira dans un gouffre de perfectionnisme et de désespoir sans noms. Je me surmenais, m'entraînais même la nuit, une moitié, une entière, et la journée qui suivait. Je sentais la fatigue mais je n'abandonnais pas.
Et enfin, un jour, il daigna poser sur moi un regard à peu près surpris, mais toujours était-il qu'il avait enfin réagi, qu'il se posait enfin des questions sur son propre fils. Alors, il vint même me voir quelques jours plus tard et me dit :

- Ne t'inquiètes pas, tu es et demeureras la seule et regrettable erreur que j'ai produite de toute ma vie..."